CHAPITRE QUATRE

Samir se procura plusieurs tenues de Bédouins dans la première échoppe du vieux Caire qui vendît de tels vêtements. Il pénétra dans un petit restaurant, établissement assez minable où se retrouvaient des Français pour qui la chance avait tourné, s’habilla et dissimula sous sa tunique ample le costume qu’il avait acheté pour Julie.

Il aimait ces habits de paysan, infiniment plus anciens que les costumes bien taillés et les chapeaux que portaient la plupart des Égyptiens. Vêtu comme les nomades du désert, il se sentait, comme eux, libre et à l’abri de tout regard indiscret.

Il parcourut à toute hâte les ruelles du Caire arabe et se dirigea vers la maison de son cousin Zaki, individu qu’il n’aimait pas vraiment fréquenter, mais qui lui donnerait sans problème tout ce dont il avait besoin. Qui savait combien de temps Ramsès devrait se cacher au Caire ? Qui eût pu dire comment les meurtres seraient élucidés ?

Il atteignit l’usine à momie de son cousin – certainement l’un des endroits les plus désagréables du monde – et entra par une petite porte latérale. Des cadavres fraîchement enveloppés attendaient au soleil, dans la cour. À l’intérieur, sans nul doute possible, d’autres baignaient dans la grande cuve.

Un homme creusait une longue tranchée dans laquelle les momies passeraient quelques jours afin d’acquérir cette couleur brunâtre que donnait la terre humide.

Cela dégoûtait complètement Samir. Il connaissait toutefois cette usine depuis très longtemps, depuis l’époque où l’on y apportait de véritables momies afin de les étudier et de les préserver.

« Nous sommes meilleurs que les voleurs, lui avait dit un jour son cousin Zaki. Ils débitent nos anciens dirigeants pour les vendre aux étrangers, alors que ce que nous leur proposons n’a rien de sacré. C’est faux d’un bout à l’autre. »

Samir se préparait à signaler sa présence à un ouvrier qui s’affairait à envelopper un corps quand Zaki émergea de la petite baraque malodorante.

« Eh, Samir ! Quel plaisir de te voir, mon cousin ! Viens prendre le café avec moi.

— Pas maintenant, Zaki, j’ai besoin de toi.

— Je m’en doute, tu ne serais pas venu autrement. »

Samir accueillit cette remarque avec un sourire marqué par l’humilité.

« Zaki, j’ai besoin d’un endroit sûr, une petite maison avec une porte solide et une sortie de secours. Un endroit secret. Pour quelques jours, peut-être plus. »

Zaki eut un rire un peu vulgaire.

« Eh bien, voilà monsieur le savant qui fait appel à moi ?

— Ne me pose pas de questions, je t’en prie. » Samir sortit de sa tunique un rouleau de billets qu’il tendit à Zaki. « Une maison sûre. Je peux payer.

— J’ai ce qu’il te faut, dit Zaki. Entre prendre le café avec moi. Tu t’habitueras vite à l’odeur. »

Zaki lui répétait cette phrase depuis des années, mais Samir n’avait jamais réussi à s’y faire. Il se crut pourtant obligé de faire plaisir à son cousin et le suivit dans la « salle d’embaumement », endroit misérable où une cuve de bitume était sans cesse en ébullition dans l’attente d’un nouveau corps.

Samir constata qu’il y avait une nouvelle victime. Cela le rendit malade. Il tourna la tête, non sans avoir vu la chevelure noire du malheureux flotter à la surface bitumineuse sous laquelle apparaissait son visage.

« Qu’est-ce que tu dirais d’une momie toute fraîche ? le taquina Zaki. Tout droit venue de la Vallée des Rois. La dynastie que tu veux. Homme, femme, comme tu voudras !

— La cachette, mon cousin.

— Oui, oui. J’ai plusieurs maisons de libres. Le café tout d’abord, ensuite tu repartiras avec une clef. Dis-moi ce que tu sais de ce vol au musée. La momie qu’on a dérobée, elle était authentique, tu crois ? »

 

Dans le brouillard, Elliott traversa le hall du Shepheard’s. Il savait qu’il avait l’air dépenaillé, que du sang et de la terre étaient collés à son pantalon et à son manteau. Sa jambe gauche lui faisait mal, mais il ne s’en préoccupait plus. Il se moquait bien d’être en sueur sous sa chemise froissée. Il savait qu’il serait soulagé de retrouver sa chambre – loin de toutes les horreurs auxquelles il avait assisté, et parfois même participé.

Il n’avait cessé de penser dans le fiacre qui l’avait ramené du vieux Caire. Malenka est morte parce que j’ai fait venir la femme chez elle. Henry ? Il ne le pleurait pas vraiment. Mais Malenka le hanterait toujours. Et la meurtrière, cette reine monstrueuse qui venait de ressusciter ? Que ferait-il d’elle s’il ne trouvait pas Ramsey ? Quand s’en prendrait-elle à lui ?

Il lui fallait trouver Samir, car lui seul devait savoir où se terrait Ramsey.

Il fut surpris de voir Alex lui tomber dans les bras alors qu’il s’approchait de la réception.

« Père, grâce au Ciel, vous êtes là !

— Où est Ramsey ? Il faut que je lui parle immédiatement.

— Père, vous ne savez pas ce qui s’est passé ? On le cherche dans toute la ville. Il est accusé d’avoir commis un double meurtre, à Londres et ici-même. Julie est dans tous ses états. Nous ne savons plus que penser. Et Henry, il est introuvable ! Père, où étiez-vous passé ?

— Reste auprès de Julie, dit Elliott. Prends bien soin d’elle. Ton Américaine attendra. »

Il chercha à atteindre la réception.

« Mademoiselle Barrington est partie, dit Alex en haussant les épaules. Sa famille a modifié ses projets quand la police est venue l’interroger sur Ramsey et sur nous tous.

— J’en suis désolé. Mais tu dois me laisser à présent, il faut que je voie Samir.

— Vous avez de la chance, il vient de rentrer. »

Alex fit un signe en direction de la caisse. Samir venait de signer un chèque de retrait. Il comptait des billets de banque et les rangeait. Il tenait un paquet sous le bras. Il paraissait très pressé.

« Laisse-moi seul, mon garçon », dit Elliott à son fils. Il marcha jusqu’au comptoir de marbre et tira Samir par la manche.

« Il faut que je le voie, chuchota Elliott. Si vous savez où il se trouve, dites-le-moi, je dois le voir.

— Je vous en prie ! » Samir regarda autour de lui. « Les autorités le recherchent. On nous regarde.

— Vous savez où il est. Ou comment lui faire parvenir un message. Vous savez tout de lui, depuis le début. »

Impossible de deviner ce à quoi pensait Samir. Les portes de son âme étaient closes.

« Vous allez lui transmettre un message de ma part. »

Samir voulut s’éloigner.

« Dites-lui que je prends soin d’elle. »

Samir hésita. « De qui parlez-vous ? murmura-t-il. Que voulez-vous dire ? »

Elliott le tira à nouveau par le bras.

« Il sait. Et elle sait qui il est ! Dites-lui que je l’ai fait sortir du musée. Elle est en sécurité. J’ai passé la journée auprès d’elle.

— Je ne saisis pas.

— Lui me comprendra. Écoutez-moi bien. Dites-lui que le soleil l’a aidée. Il l’a guérie, de même que… le remède dans le flacon. »

Le comte sortit de sa poche le flacon vide et le mit dans la main de Samir. Samir le regarda comme s’il en avait peur, comme s’il ne voulait pas le toucher.

« Il lui en faut davantage ! dit Elliott. Elle ne va pas bien, tant physiquement que psychiquement. Elle est folle ! » Du coin de l’œil, il vit Alex venir le rejoindre, mais il lui fit signe de prendre patience et se rapprocha un peu plus de Samir. « Dites-lui de venir me voir ce soir à sept heures. Dans un café français qu’on appelle le Babylone, dans le quartier arabe. Je ne parlerai qu’à lui.

— Mais attendez, expliquez-moi…

— Je vous l’ai dit, il comprendra. Mais qu’il ne me contacte surtout pas ici. C’est trop dangereux. Je ne veux pas voir mon fils mêlé à toute cette affaire. Au Babylone, à sept heures. Dites-lui aussi qu’elle a déjà tué par trois fois. Et qu’elle tuera à nouveau. »

Il quitta brusquement Samir et saisit la main que lui tendait Alex.

« Aide-moi à monter, lui dit-il. Je dois me reposer, je suis près de l’évanouissement.

— Mon Dieu, mais que se passe-t-il ?

— C’est à moi de te poser la question. Qu’est-ce qui est arrivé depuis mon départ ? Oh, la réception ! Dis-leur que je ne veux voir personne. »

Encore quelques pas, se dit-il quand les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Un bon lit bien propre. Il avait la tête qui tournait, il se sentait au bord de la nausée. Il appréciait la présence de son fils, qui l’aidait à marcher.

Il perdit l’équilibre dès qu’il eut atteint sa chambre. Mais Walter était là. Assisté d’Alex, ils le mirent au lit.

« Je vais vous faire couler un bon bain chaud, monsieur, lui dit Walter.

— Merci, Walter, mais d’abord apportez-moi à boire. Un scotch, et laissez-moi la bouteille.

— Père, je ne vous ai jamais vu ainsi. Je pense que je vais appeler le docteur de l’hôtel.

— Il n’en est pas question ! dit Elliott d’un ton assuré qui étonna Alex. Est-ce que Lady Macbeth aurait fait appel à un docteur ? Je ne crois pas qu’il l’aurait beaucoup aidée.

— Père, de quoi parlez-vous ? » La voix d’Alex n’était plus qu’un murmure, ce qui était toujours le cas quand il était sincèrement bouleversé. Il regarda Walter placer le verre dans la main d’Elliott.

Le comte but un peu de whisky. « Ah, c’est bon », soupira-t-il. Dans la petite maison marquée par la mort et la folie, il y avait une douzaine de bouteilles d’alcool – les bouteilles de Henry – et il n’avait pas osé y toucher. Il n’avait pas non plus osé manger la nourriture de Henry. Il en avait donné à la créature, mais lui-même n’avait rien pris.

« Alex, écoute-moi, dit-il après avoir bu une seconde gorgée. Tu vas quitter immédiatement Le Caire. Tu vas faire tes bagages et prendre le train de cinq heures à destination de Port-Saïd. Je t’y accompagnerai. »

Son fils avait l’air totalement sans défense, comme un petit garçon. C’est lui mon rêve d’immortalité, se dit Elliott, mon enfant. Mon Alex, qui doit absolument regagner l’Angleterre où il sera en sécurité.

« C’est hors de question, père, dit Alex sans se départir de sa douceur. Je ne peux abandonner Julie.

— Je ne veux pas que tu délaisses Julie. Tu vas l’emmener avec toi. Dis-lui de se préparer, vous allez partir immédiatement ! Fais comme je te dis.

— Père, vous ne comprenez pas. Elle ne s’en ira pas tant que Ramsey n’aura pas été innocenté. Et nul ne peut le trouver. Nul ne sait non plus où est Henry. Père, je ne crois pas que les autorités nous laisseront partir tant que cette affaire n’aura pas été réglée.

— Mon Dieu ! »

Alex prit son mouchoir, le plia soigneusement et épongea le front d’Elliott. Celui-ci le lui prit pour s’essuyer la bouche.

« Père, vous ne croyez tout de même pas que Ramsey a commis ces atrocités ? Il me plaisait assez, ce Ramsey. »

Walter entra. « Votre bain est prêt, monsieur.

— Pauvre Alex, murmura Elliott.

— Père, dites-moi ce qui se passe. Je ne vous ai jamais vu dans un tel état. Vous n’êtes plus vous-même.

— Oh si, je suis moi-même. C’est tout à fait moi, plein de rêves insensés ainsi que je l’ai toujours été. Tu sais, mon fils, quand tu hériteras le titre, tu seras probablement le seul homme honorable à avoir jamais été appelé comte de Rutherford.

— Voilà que vous recommencez à philosopher. Je ne suis pas si honorable que cela. Je suis bien éduqué, et ceci compense cela, du moins je l’espère. Prenez votre bain à présent. Vous vous sentirez beaucoup mieux. Et ne buvez plus de scotch, je vous en prie. »

 

Miles Winthrop était fasciné par le télégramme que l’on venait de lui remettre.

« L’arrêter ? Julie Stratford ? Pour le vol à Londres d’une momie inestimable ? Mais c’est de la démence ! Alex Savarell et moi étions condisciples ! Je vais contacter le British Museum.

— Fort bien, lui dit son interlocuteur, mais, de grâce, faites diligence. Le département des Antiquités est furieux. Retrouvez Henry Stratford. Mettez la main sur sa maîtresse, cette danseuse… Malenka. Stratford se cache quelque part au Caire, et il doit être plutôt désemparé, faites-moi confiance. En tout cas, arrêtez quelqu’un ! »

 

Ah, quel bazar étonnant ! Tout était à vendre ici – riches étoffes, parfums, épices, objets étranges et sonores couverts de chiffres romains ; bijoux et poteries ; denrées alimentaires. Elle n’avait pas d’argent pour acheter à manger ! Le premier boutiquier lui avait dit en anglais, mais avec des gestes de tout temps, que son argent n’était pas bon.

Elle continua de marcher. Elle écoutait les voix, saisissait des mots d’anglais, essayait de comprendre.

« Je ne paierai pas ce prix-là. C’est trop cher, cet homme est un voleur…»

« Allons boire un petit verre, il fait si chaud…»

« Oh, comme ils sont jolis, ces colliers…»

Rires, cris, grincements ! Elle avait déjà entendu ces bruits. Elle plaqua les mains sur ses oreilles et poursuivit son chemin en évitant les sons qui lui étaient le plus pénibles, mais en s’efforçant aussi d’en apprendre le plus possible sur ce monde nouveau.

Et, soudain, un tumulte monstrueux, inconcevable, l’ébranla ; et elle releva la tête, les larmes aux yeux. Elle tituba et se rendit compte, malgré sa panique, que ceux qui l’entouraient ne semblaient nullement épouvantés ! Pour eux, rien n’avait changé !

Elle devait percer ce mystère et, bien que ses yeux fussent baignés de larmes, elle fit face.

Ce qu’elle contempla l’emplit d’un effroi aussi inqualifiable que soudain. Elle ne possédait pas de mots, dans aucune langue que ce fût, pour décrire une chose pareille. Immense et noir, cela se déplaçait sur des roues faites de métal, et le tout était surmonté d’une cheminée crachant une fumée noire. Ce bruit était si puissant qu’il étouffait tous les autres. De grands chariots de bois se succédaient, reliés les uns aux autres par d’énormes crochets de fer noir. La monstrueuse caravane cheminait sur une bande de métal posée à même le sol. Le bruit s’amplifia encore quand la chose passa devant elle et s’engouffra dans un tunnel béant où des centaines de personnes se pressaient comme pour mieux l’approcher.

Elle sanglota et regarda autour d’elle. Oh, pourquoi avait-elle abandonné sa cachette ? Pourquoi avait-elle désobéi à cet homme, Rutherford, qui se proposait de la protéger ? Lorsqu’elle crut qu’elle ne verrait jamais rien de pis que cette longue caravane de chariots noirs et bringuebalants, elle leva les yeux une fois le dernier wagon entré dans le tunnel, et son regard se posa sur une grande statue de granit représentant le pharaon Ramsès, debout, les bras croisés, sceptres à la main !

Hébétée, elle contempla le colosse. Arrachée à la terre qu’elle avait connue, au pays qu’elle avait gouverné, cette chose avait ici un air grotesque, pathétique, abandonné.

Elle fit un écart en arrière. Un autre chariot démoniaque fonçait sur elle. Elle ferma les yeux, le monde s’évanouit autour d’elle.

Quand elle rouvrit les yeux, un jeune Anglais la portait dans ses bras et demandait aux curieux de s’écarter. Elle comprit qu’il prenait soin d’elle.

« Café, murmura-t-elle. Je voudrais un peu de sucre dans mon café. » Elle se rappelait les phrases de la machine qui parle que lui avait montrée le seigneur Rutherford. « Je voudrais une rondelle de citron. »

Son visage s’illumina. « Mais bien entendu, je vais aller vous chercher du café. Tenez, nous allons entrer dans cet établissement, c’est le café britannique ! »

Il la mit sur pied. Comme il était beau et musclé ! Et ses yeux, si bleus, presque comme ceux de…

Elle jeta un coup d’œil en arrière. Elle n’avait pas rêvé. La statue se dressait toujours par-delà les lignes de métal, les chariots se faisaient toujours entendre, quoique invisibles à présent.

Elle se sentait faible, il l’aida à marcher.

Elle écouta les mots qu’il lui adressait.

« Vous allez pouvoir vous reposer, c’est un endroit tranquille. Vous m’avez fait une de ces peurs, vous savez ! »

Le café. La voix dans le gramophone avait dit : « Nous nous retrouverons au café. » Un endroit pour boire du café, de toute évidence, pour se rencontrer, pour parler. Un lieu peuplé de femmes portant des robes et d’hommes vêtus comme le seigneur Rutherford et cette jeune créature aux bras si robustes.

Elle s’assit à une petite table de marbre. Des voix de tous côtés. « Franchement, je trouve que l’endroit est formidable, mais vous connaissez mère…» « Curieux, non ? On dit qu’ils avaient la nuque brisée » et encore « Oh, ce thé est glacé ! Appelez donc le garçon ! »

Elle vit l’homme assis à la table voisine tendre au serviteur des morceaux de papier colorés. Était-ce cela, de l’argent ? L’autre lui rendit des pièces.

Un plateau de café chaud avait été placé devant elle. Elle était si affamée qu’elle aurait bu tout d’un coup, mais savait qu’il convenait de le laisser servir. Le seigneur Rutherford le lui avait montré. C’est exactement ce que fit le jeune homme. Il avait un sourire vraiment délicieux. Comment lui dire sur-le-champ qu’elle voulait coucher avec lui ? Il leur faudrait trouver une petite auberge. Ce genre d’endroit devait bien exister.

Un peu plus loin, une femme parlait fort et vite :

« Je n’aime pas l’opéra, que voulez-vous ? Je n’irais pas si je me trouvais à New York. Mais, depuis que nous sommes au Caire, nous sommes tous censés aller à l’opéra et y prendre grand plaisir. C’est ridicule.

— Mais, ma chérie, c’est Aïda ! »

Aïda. « Céleste Aïda. » Elle se mit à fredonner cet air, puis à le chanter à voix basse – trop doucement pour que les autres consommateurs pussent l’entendre. Son compagnon, lui, l’entendait. Il lui sourit, positivement charmé. L’emmener au lit ne poserait aucun problème. Il fallait seulement trouver un lit. Bien sûr, elle pourrait le ramener à la petite maison, mais c’était trop loin d’ici. Elle cessa de chanter.

« Oh non, ne vous arrêtez pas, dit-il. Poursuivez, je vous en prie. »

Poursuivez, poursuivez. Attendre un petit instant et puis… Elle comprit tout.

Ramsès lui avait appris cela. Au début, chaque langue semble impénétrable. On la parle, on l’écoute, et, peu à peu, tout devient clair.

Ramsès. Ramsès, dont la statue se dressait au milieu des chariots de métal ! Elle tourna la tête pour voir par la fenêtre, mais celle-ci était recouverte d’un grand panneau de verre translucide, quoique couvert de poussière. Comment faisaient-ils pour créer pareils objets ? « Les temps modernes », c’était l’expression qu’avait employée le seigneur Rutherford. Des hommes capables de fabriquer des chariots aussi monstrueux pouvaient sans aucun mal élaborer de la pâte de verre transparente.

« Vous avez une voix charmante, absolument délicieuse. Vous rendrez-vous à l’opéra ? Tout le monde au Caire y va, semble-t-il. »

Non loin de là, une femme dit à son amie : « Le bal durera jusqu’à l’aube.

— C’est formidable, répondit l’autre femme. Nous sommes trop loin de toute civilisation pour nous plaindre. »

Le jeune homme se mit à rire.

« Ce bal est le grand événement de la saison. Il se tiendra à l’hôtel Shepheard’s. » Il but un peu de café. C’était le signal qu’elle attendait. Elle vida sa tasse.

Il sourit. Il lui en versa encore un peu.

« Merci, dit-elle en imitant parfaitement la voix du disque.

— Oh, vous ne désiriez pas de sucre ?

— Je préférerais de la crème, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Bien sûr que non. »

Il versa un nuage de lait dans sa tasse. Était-ce cela de la crème ? Oui, le seigneur Rutherford lui en avait donné dans la maison de l’esclave.

« Vous rendrez-vous au bal du Shepheard’s ? Nous sommes descendus dans cet hôtel, mon oncle et moi-même. Mon oncle est dans les affaires. »

Il s’arrêta encore une fois de parler. Que regardait-il ainsi ? Ses yeux ? Ses cheveux ? Il était très joli, elle aimait la teinte fraîche de sa gorge et de son visage. Le seigneur Rutherford était un bel homme, certes, mais celui-ci avait la jeunesse en plus.

Elle tendit la main et effleura sa poitrine à travers la soie qui lui couvrait les doigts. Qu’il ne sente surtout pas mes os. Il avait l’air des plus surpris. Les doigts de la femme touchèrent la pointe de son sein et la pincèrent délicatement. Il en rougit comme une vestale. Le sang affluait à son visage. Elle sourit.

Il regarda autour de lui. Les deux femmes qui jacassaient semblaient n’avoir rien remarqué. « C’est tout simplement sensationnel !

— Cette robe du soir, elle m’a coûté une véritable fortune, vous savez ! Mais puisque tout le monde y va, eh bien, me suis-je dit, pourquoi…»

La créature se mit à rire. « L’opéra ! Ah, l’opéra…

— Oui », dit-il, quelque peu étonné par ce qu’elle venait de faire. Elle avait vidé tout le pot dans sa tasse et l’avait bu. Elle engloutit ensuite le contenu du pot de lait. Elle prit le sucre et l’enfourna dans sa bouche. Elle n’aimait pas cela. Elle reposa le morceau, puis passa la main sous la table et lui pressa la jambe. Il était fin prêt ! Ah, ce pauvre garçon aux yeux si doux !

Elle se rappela le jour où Antoine et elle avaient fait venir de jeunes soldats sous leur tente et les avaient dévêtus avant de faire leur choix. Un jeu amusant. Jusqu’à ce que Ramsès fût mis au courant. De quoi ne l’accusait-il pas alors ? Mais sa vigueur amoureuse était si grande ! Comme il la désirait !

Elle se leva de table, lui fit signe de la suivre et franchit les portes.

Le tumulte au-dehors. Les chariots. Elle s’en moquait. Les gens ne paraissaient pas effrayés, il devait bien y avoir une raison. Tout ce qu’elle voulait à présent, c’était trouver un lieu propice. Il marchait derrière elle, il lui parlait.

« Viens, lui dit-elle en anglais. Viens avec moi. »

Une ruelle. Elle l’y entraîna. L’endroit était ombragé et plus calme. Elle se retourna pour l’enlacer. Il se pencha pour l’embrasser.

« Pas ici, tout de même, dit-il en riant. Mademoiselle, je ne crois pas…

— J’ai dit ici », murmura-t-elle tout en faufilant ses doigts sous ses vêtements. Sa peau était chaude, juste ce qu’il lui fallait. Chaude et odorante. Et il était prêt à l’honorer. Elle souleva le bord de sa jupe rose.

Cela se passa trop vite. Elle se contenta de frissonner quand il se répandit en elle, puis il recula et s’adossa au mur comme s’il était malade.

« Attends, on pourrait peut-être…» bredouilla-t-il.

Elle l’observa un instant. Aucun problème. Elle tendit les mains, lui enserra le cou et serra jusqu’à ce que sa nuque se brisât.

Son regard se perdait dans le vide, comme celui de la femme de ménage, de l’homme, de l’esclave. Il n’y avait rien dans leurs yeux. Rien. Puis le garçon glissa le long du mur, jambes écartées.

Elle revit la silhouette dressée au-dessus d’elle. Était-ce un rêve ? « Lève-toi, Cléopâtre. Moi, Ramsès, je te l’ordonne ! »

Ah non ! Le seul fait de tenter de se souvenir réveillait en elle une douleur intolérable. Mais ce n’était pas une douleur physique, non, c’était une douleur de l’âme. Elle entendait pleurer des femmes qu’elle avait connues. Elles se lamentaient, elles prononçaient son nom. Cléopâtre. Puis quelqu’un lui couvrit la face d’une étoffe noire. Le serpent était-il toujours vivant ? Elle trouvait étrange que cette vipère dût lui survivre. Elle sentait encore ses crochets s’enfoncer dans son sein.

Elle émit un sourd gémissement en voyant le corps inerte du garçon. Quand tout cela s’était-il passé ? Où ? Qui avait-elle été ?

Absence totale de souvenirs. Revenons à ces fameux « temps modernes ».

Elle se pencha pour prendre l’argent qui dépassait de la poche du jeune homme. Il y avait de très nombreux billets dans un petit étui de cuir. D’autres choses, aussi. Une carte écrite en anglais et un petit portrait du jeune homme, remarquable de précision. Enfin, deux petits cartons sur lesquels elle reconnut les mots AÏDA et OPÉRA. Comme le « magazine », ils montraient une Égyptienne sur fond de pyramides.

Ils avaient sûrement de la valeur ; en revanche, elle jeta le portrait du jeune homme. Elle rangea les billets de spectacle dans sa poche et se mit à chantonner : « Céleste Aïda », avant d’enjamber le cadavre et de regagner la rue bruyante.

N’aie pas peur. Fais comme eux. S’ils s’approchent de la voie de métal, fais de même.

Elle ne s’était pas plus tôt mise en route que l’un des chariots métalliques émit un terrible grincement. Elle se couvrit les oreilles, les larmes lui vinrent aux yeux et elle les ferma. Quand elle les rouvrit, ce fut pour découvrir un autre jeune homme.

« Je peux vous aider, ma petite dame ? Vous n’êtes pas perdue quand même ? Vous ne devriez pas vous balader dans la gare avec tout cet argent qui dépasse de votre poche.

— La gare…

— Vous n’avez pas de sac ?

— Non, dit-elle innocemment. Elle lui permit de la prendre par le bras. « Vous voulez m’aider ? » Elle se rappelait la phrase que son bienfaiteur lui avait si souvent répétée. « Je peux avoir confiance ?

— Oh, bien sûr ! » Il était sincère. Encore un jeune, et sa peau paraissait si douce !

 

Deux Arabes empruntèrent la porte de service du Shepheard’s. L’un était plus petit que l’autre, mais tous deux marchaient à grands pas.

« N’oubliez pas, dit Samir à voix basse, vous devez faire de grandes enjambées. Vous êtes un homme. Les hommes ne font pas de petits pas. Et balancez naturellement vos bras.

— Il y a longtemps que j’aurais dû apprendre ça », dit Julie.

 

La Grande Mosquée était emplie de fidèles, mais aussi de touristes accourus voir cette merveille et se repaître du spectacle des dévots prosternés. Julie et Samir se frayèrent un chemin parmi les nuées de touristes. En quelques minutes, ils repérèrent un Arabe de haute stature, qui portait une tunique ample et des lunettes noires.

Samir plaça une clef dans la main de Ramsès. Il lui confia une adresse, des indications. Ramsès le suivrait. Ce n’était pas très loin.

 

Ah, il lui plaisait bien, celui-là, qui se disait américain et parlait avec une voix étrange. Ils montèrent dans un « taxi » tiré par des chevaux, au milieu des « voitures automobiles ». Elle n’avait plus peur.

Avant leur départ de la « gare », elle avait constaté que les grands chariots de fer emportaient des gens. C’était, semblait-il, un moyen de transport tout à fait commun. Étrange, tout de même.

Celui-ci n’était pas aussi élégant que le seigneur Rutherford, loin de là, mais il parlait plus lentement et elle n’eut bientôt aucun mal à le comprendre ; et puis, il montrait du doigt tout ce qu’il évoquait. Elle savait désormais reconnaître une automobile Ford, une Stutz Bearcat, un roadster. Cet homme vendait ce genre de chose en Amérique. Là-bas, même les pauvres pouvaient s’offrir des voitures.

Elle serrait contre elle le petit sac en toile qu’il lui avait acheté et qui contenait les billets de banque ainsi que les cartons sur lesquels était inscrit le mot OPÉRA.

« C’est ici que vivent les touristes, lui dit-il. Enfin, plus ou moins. Ce que je veux dire, c’est que c’est le secteur britannique…

— Anglais, dit-elle.

— Oui, mais c’est là que viennent les Américains et les Européens. Cette bâtisse, là, c’est là que descendent les touristes les plus riches, les Britanniques et les Américains. C’est le Shepheard’s, l’hôtel numéro un, vous me comprenez ?

— Le Shepheard’s ? L’hôtel numéro un ? » Elle eut un petit rire.

« C’est là que le grand bal aura lieu demain soir. J’y réside. Je n’aime pas beaucoup l’opéra, dit-il avec une grimace. Ça ne m’a jamais passionné, mais ici, voyez-vous, il semble que cela soit important. Alors…

— Important…

— Oui. Alors je me suis dit que je ferais mieux d’y aller, ainsi qu’au bal qui y fera suite, même s’il faut pour cela que je loue un habit à queue de pie. » Il y avait beaucoup de gaieté dans ses yeux. Il s’amusait beaucoup.

Et elle-même s’amusait beaucoup.

« Aïda se déroule dans l’Égypte ancienne.

— Oui, Radamès chante.

— Ah, vous connaissez ? Je suis sûr que vous êtes amateur d’opéra. » Brusquement, il plissa le front. « Vous vous sentez bien ? Vous trouverez sûrement la vieille ville plus romantique. Vous voulez boire quelque chose ? Qu’est-ce que vous diriez de faire un petit tour dans mon automobile ? Elle est garée juste derrière le Shepheard’s.

— Une voiture automobile ?

— Oh, vous êtes en sécurité avec moi, ma petite dame, je suis bon conducteur. Tenez, est-ce que vous êtes déjà allée aux pyramides ? »

Py-ra-mides.

« Non, dit-elle. Aller dans votre automobile, formidable ! »

Il rit. Il lança un ordre au cocher, lequel fit aller son cheval à gauche. Ils firent le tour de l’hôtel Shepheard’s, charmant bâtiment flanqué d’agréables jardins.

Il tendit la main pour l’aider à descendre du fiacre et faillit toucher la blessure qu’elle portait au flanc. Elle frissonna. Comment pouvait-on vivre avec une plaie aussi horrible ? C’était un mystère. Quoi qu’il se passât à présent, elle devait revenir avant la brune pour voir le seigneur Rutherford. Car ce dernier était allé parler à l’homme aux yeux bleus, celui qui pouvait tout expliquer.

 

Ils arrivèrent ensemble à la petite maison qui servirait de cachette. Julie laissa d’abord entrer Samir et Ramsès. Ils inspectèrent les trois pièces et négligèrent le jardin, puis il lui fit signe d’entrer à son tour. Ramsès verrouilla la porte.

Il y avait une petite table de bois, une bougie enfoncée dans le goulot d’une bouteille. Samir alluma la bougie. Ramsès tira deux chaises à dos plat, Julie fit de même avec la troisième.

L’endroit était assez confortable. Le soleil entrait par le jardin et la porte de derrière ; il faisait chaud, mais cela n’avait rien d’insupportable. La senteur des épices orientales flottait dans l’air.

Julie se débarrassa de sa coiffe arabe et secoua ses cheveux.

« Je ne crois pas que tu aies tué cette femme », dit-elle de but en blanc à Ramsès.

Dans sa tunique d’homme du désert, il ressemblait à un cheik ; son visage était à moitié plongé dans l’obscurité, mais ses yeux reflétaient la flamme de la bougie.

Samir prit place à la gauche de Julie.

« Je ne l’ai pas tuée, dit Ramsès. Mais je suis responsable de sa mort. Et j’ai besoin de votre aide, ainsi que de votre compréhension, de votre pardon. Le temps est venu pour moi de tout vous révéler.

— Sire, j’ai un message pour vous, dit Samir. Je dois vous le délivrer sur-le-champ.

— Quel message ? » demanda Julie. Pourquoi Samir ne lui avait-il rien dit ?

« Un message de la part des dieux, Samir ? Ils veulent que je leur rende des comptes ? Je n’ai pas de temps à accorder aux messages de moindre importance. Je dois vous dire ce qui est arrivé, ce que j’ai fait.

— Il émane du comte de Rutherford, sire. Il m’a abordé à l’hôtel. Il avait l’air d’un dément. Il m’a demandé de vous faire savoir qu’il s’occupait d’elle. »

Ramsès était visiblement désarçonné. Il jeta un regard assez noir à Samir.

Julie trouvait la situation insupportable.

Samir ôta quelque chose de sa tunique et le tendit à Ramsès. C’était un flacon de verre, semblable à ceux qu’elle avait vus parmi les pots d’albâtre de la collection.

Ramsès le regarda, mais il n’y toucha pas. Samir voulut parler, mais Ramsès lui fit signe de se taire. Son visage était marqué par une telle émotion qu’il en était méconnaissable.

« Dites-moi ce que cela signifie ! leur lança Julie.

— Il m’a suivi au musée », murmura Ramsès. Il contemplait le flacon vide.

« Mais de quoi parles-tu ? Que s’est-il passé au musée ?

— Sire, il prétend que le soleil lui a fait du bien. Le remède contenu dans le flacon lui a fait également du bien, mais il lui en faut davantage. Elle est très atteinte, dans son corps et dans son âme. Elle a déjà tué par trois fois. Elle est folle. Il la cache quelque part et veut vous rencontrer. Il m’a indiqué l’heure et l’endroit. »

Pendant un instant, Ramsès ne dit rien. Puis il se leva et se dirigea vers la porte.

« Non, arrête ! » cria Julie en se précipitant vers lui.

Samir s’était également levé.

« Sire, attendez, vous risquez d’être appréhendé. L’hôtel est surveillé. Attendez qu’il sorte et allez au rendez-vous. »

Ramsès était ébranlé. Il posa sur Julie des yeux ternes, à demi fermés, et reprit sa chaise.

Julie essuya ses larmes et s’assit également.

« Où et quand ? demanda Ramsès.

— Ce soir, à sept heures. Au Babylone. C’est une boîte de nuit française. Je connais l’endroit, je vous y emmènerai.

— Je ne pourrai pas attendre !

— Ramsès, dis-nous ce qui se passe. Comment pourrions-nous t’aider alors que nous ignorons tout ?

— Julie a raison, sire. Accordez-nous votre confiance. Permettez-nous de vous venir en aide. Si vous êtes repris par la police…»

Ramsès eut un geste de dégoût.

« J’ai besoin de vous et, quand vous saurez la vérité, peut-être vous perdrai-je. Mais qu’il en soit ainsi, car j’ai semé le trouble dans vos existences.

— Tu ne me perdras jamais », dit Julie, mais la terreur qu’elle éprouvait ne cessait de grandir.

Jusqu’à ces derniers instants, elle avait cru comprendre ce qui se passait. Il avait fait sortir du musée le corps de sa bien-aimée. Il avait voulu qu’elle fût ensevelie dignement. Mais maintenant, face au flacon et aux paroles étranges d’Elliott, elle envisageait des solutions plus terribles, les repoussait avec horreur, et les étudiait à nouveau.

« Mettez votre confiance en nous, sire, laissez-nous partager votre fardeau. »

Ramsès regarda Samir, puis Julie.

« Ah, ce péché, vous ne pourrez jamais le prendre sur vous, dit-il. Le corps exposé au musée. Cette femme inconnue…

— Oui, murmura Samir.

— Elle ne m’était pas inconnue, mes chers amis. Le spectre de Jules César la connaissait. Le spectre de Marc Antoine l’aurait serrée dans ses bras. Des millions de sujets ont jadis pleuré pour elle…»

Julie hocha la tête. À nouveau, les larmes coulaient sur ses joues.

« Et j’ai commis l’irréparable. J’ai emporté l’élixir au musée. Je ne me rendais pas compte à quel point son corps était ravagé, des fragments de chair en étaient arrachés. J’ai versé sur elle l’élixir ! Après deux mille ans, la vie s’est éveillée dans son corps délabré. Elle s’est levée ! Blessée, ensanglantée, elle s’est redressée ! Elle a marché. Elle a tendu la main vers moi. Elle a prononcé mon nom ! »

 

Ah, cette promenade en voiture automobile décapotable, c’était quand même meilleur que le premier vin, meilleur encore que de faire l’amour ! Le vent sifflait à ses oreilles et l’Américain haussait le ton pour se faire entendre tandis qu’il actionnait le « levier de commande de vitesses ».

Voir les maisons défiler à toute allure. Voir les Égyptiens se traîner avec leurs ânes et leurs chameaux et les laisser loin derrière.

Elle adorait cela. Elle contemplait le ciel et laissait le vent s’engouffrer dans ses cheveux tout en retenant d’une main son chapeau.

De temps à autre, elle observait le maniement de ce chariot étrange. Il fallait appuyer sur les « pédales », disait-il, tourner le volant, manipuler les « vitesses ».

C’était ensorcelant ! Mais, soudain, retentit un hurlement suraigu qui lui glaça le sang. Ce cri sauvage, elle l’avait déjà entendu dans la « gare ». Elle se boucha les oreilles.

« N’ayez pas peur, ma petite madame, ce n’est qu’un train. Tenez, le voilà qui arrive ! » L’automobile fit halte.

Des barres de métal alignées dans le désert. Et cette énorme et sombre monstruosité qui jaillissait de la droite. Une cloche tinta. Elle eut vaguement conscience d’une lumière rouge qui clignote, pareille au faisceau d’une lanterne. Ne se débarrasserait-elle jamais de cette chose hideuse ?

Il l’enlaça.

« Tout va bien, ma petite madame. On va gentiment attendre qu’il passe. »

Il continua de parler, mais le vacarme assourdissant du monstre de métal étouffait ses paroles. Des roues terrifiantes écrasaient le sol. Mais le pire était cette longue procession de chariots de bois dans lesquels des êtres humains étaient assis, sur des planches, paisiblement, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

Elle s’efforça de se ressaisir. Elle sentait ses mains chaudes sur elle, le parfum agréable qui s’élevait de sa peau. Elle vit passer les dernières voitures. Une cloche tinta, en haut d’un pylône un fanal s’alluma.

L’Américain joua des pédales, la voiture s’ébranla, et ils franchirent les voies métalliques pour rejoindre les sables du désert.

« J’habite à Hannibal, dans le Missouri, eh bien, là-bas, la plupart des gens ne savent pas de quoi l’on parle quand on leur dit qu’on va en Égypte. Moi, j’ai dit à mon père, je fiche le camp, je prends tout l’argent que j’ai gagné et je m’installe là-bas…»

Elle retint son souffle. À nouveau elle découvrait le plaisir. Et, tout à coup, surgirent à l’horizon les pyramides de Guizeh et la silhouette massive du Sphinx !

Elle poussa un petit cri. C’était l’Égypte. Elle se trouvait dans l’Égypte des « temps modernes », certes, mais c’était toujours l’Égypte.

Une paisible tristesse s’empara d’elle. Les tombeaux de ses ancêtres, et là, le sphinx qu’elle était allée visiter, jeune fille, afin de prier dans le temple édifié entre ses pattes…

« Ça c’est un spectacle, hein ? Moi, je vous le dis, si les habitants de Hannibal, dans le Missouri, ne sont pas capables d’apprécier ça, eh bien tant pis pour eux !

— Tant pis pour eux ! » répéta-t-elle en riant.

Ils s’approchèrent et découvrirent la foule des visiteurs. Toute une étendue de désert recouverte de calèches et de voitures automobiles. Des femmes en robe légère, vêtues comme elle. Des hommes en chapeaux de paille, comme l’Américain. Et de nombreux Arabes suivis de leurs chameaux, les bras chargés de colliers de pacotille. Elle sourit.

En son temps, ils vendaient déjà des bijoux fantaisie aux soldats romains. Ils les faisaient payer pour une promenade en chameau. Rien n’avait changé !

Elle eut le souffle coupé par le grand tombeau du roi Chéops qui se dressait devant elle. Elle était venue ici, petite fille, et avait admiré cette monstrueuse structure faite de carrés de pierre. Plus tard, elle était revenue avec Ramsès, seuls dans la nuit, vêtus de tuniques noires comme les paysans.

Ramsès ! Non, c’était là un souvenir épouvantable qu’elle ne voulait plus évoquer. Elle s’était avancée vers lui, et lui l’avait évitée.

L’automobile américaine s’arrêta brusquement.

« Allez, petite madame, venez admirer ça : la septième merveille du monde. »

Elle sourit à l’Américain au visage un peu poupin. Il se montrait si gentil avec elle.

« Oooh ! Formidable ! » dit-elle. Elle bondit hors de son siège avant même qu’il pût lui tendre la main.

Le corps de Cléopâtre était tout près de celui du jeune homme. Il plissa le nez et lui sourit. Sa bouche était jeune et pulpeuse. Elle l’embrassa en se mettant sur la pointe des pieds. Hmm, comme il était jeune et doux, tout comme l’autre. Et si étonné !

« Eh bien, vous êtes dynamique, vous », lui dit-il à l’oreille. Il ne savait trop que faire. Bah, elle saurait bien le guider. Elle le prit par la main et ils se dirigèrent vers les pyramides.

« Ah, regardez ! s’écria-t-elle en désignant un petit palais.

— C’est le Mena House, dit-il. Ce n’est pas un mauvais hôtel, même s’il n’arrive pas à la cheville du Shepheard’s. On pourra y manger un morceau tout à l’heure si cela vous dit. »

 

« J’ai tenté de leur échapper, dit Ramsès. Cela me fut impossible. Ils étaient trop nombreux. Ils m’ont mis en prison. Il me fallait du temps pour guérir. Il a dû s’écouler une demi-heure avant que je ne parvinsse à m’enfuir. »

Silence.

Julie avait dissimulé son visage dans son mouchoir.

« Sire, dit doucement Samir, vous saviez que cet élixir était capable de cela ?

— Oui, Samir, je le savais, mais je ne l’avais jamais essayé par moi-même.

— C’est tout à fait humain, sire.

— Ah, Samir, j’ai commis tellement d’erreurs au cours des siècles. Je connaissais les dangers de cette substance. Et vous aussi devez les connaître. Vous devez apprendre la vérité avant de décider de m’aider. Cette créature, cette démente que j’ai ramenée à la vie… elle ne peut être détruite.

— Il doit pourtant exister un moyen, dit Samir.

— Non, je l’ai constaté par moi-même. Vos ouvrages de biologie ont confirmé mon jugement. Une fois qu’elles ont été saturées d’élixir, les cellules du corps se renouvellent constamment. Plantes, animaux, êtres humains… cela revient au même.

— Pas de vieillissement, pas de détérioration », murmura Julie. Elle s’était apaisée.

« Exactement. Une seule coupe de ce breuvage m’a rendu immortel. L’équivalent du contenu d’un flacon, oui. Je serai éternellement dans la fleur de l’âge. Je n’ai pas besoin de nourriture, bien que j’aie sans cesse faim. Je n’ai pas besoin de dormir, même si j’aime cela. Et j’ai perpétuellement le désir… de faire l’amour.

— Mais cette femme… elle n’a pas reçu une dose entière.

— Non, et de surcroît, elle était altérée ! C’est en cela que j’ai été fou ! Son corps n’était pas intact ! Mais qu’importe, il est désormais pratiquement impossible de la contrecarrer. J’ai compris cela quand elle s’est avancée vers moi.

— Tu ne penses pas en termes de science moderne », dit Julie. Elle essuya ses larmes. « Il doit exister un moyen de mettre un terme au processus.

— En revanche, si elle devait recevoir une mesure complète – davantage d’élixir, comme le dit le comte…

— C’est de la folie, l’interrompit Julie. Nous n’avons pas le droit d’envisager cette solution, cela ne ferait que la rendre plus forte !

— Écoutez-moi, dit Ramsès, écoutez ce que j’ai à vous dire. Cléopâtre n’est qu’un élément de cette tragédie. Le comte est au courant du secret, j’en suis certain. C’est l’élixir lui-même qui est dangereux, plus encore que vous ne pouvez l’imaginer.

— Les hommes vont le convoiter, dit Julie, et ils feront n’importe quoi pour se l’approprier. Mais je pense que l’on peut faire réfléchir Elliott. Henry, quant à lui, n’est qu’un imbécile.

— Ce n’est pas tout. Nous parlons d’un composé chimique qui modifie toute substance vivante par laquelle il est absorbé. » Ramsès attendit un moment et en profita pour les observer. « Il y a plusieurs siècles de cela, alors que j’étais encore Ramsès, souverain de cette nation, j’ai rêvé que cet élixir m’aiderait à nourrir et à abreuver mon peuple en abondance. Nous ne connaîtrions plus la famine. Le blé repousserait instantanément après chaque moisson. Les arbres seraient à tout jamais lourds de fruits. Savez-vous ce qui s’est passé ? »

Ils le regardaient en silence, fascinés.

« Mon peuple n’a pu digérer cette nourriture immortelle. Elle restait telle quelle dans leurs intestins. Les hommes périrent dans des souffrances horribles comme s’ils avaient avalé du sable.

— Mon Dieu, murmura Julie. Mais c’est parfaitement logique !

— Et lorsque j’ai voulu incendier les champs et mettre à mort les poules et les vaches immortelles, j’ai vu le blé noirci renaître aux premiers rayons du soleil. J’ai vu des carcasses carbonisées et décapitées chercher à se relever. Il a fallu tout lester et l’envoyer au fond du fleuve ou de la mer. Tout y est certainement encore intact aujourd’hui. »

Samir frissonna.

Julie regardait Ramsès droit dans les yeux. « Tu veux dire que… si ce secret tombait en de mauvaises mains, des régions entières de la terre pourraient accéder à l’immortalité.

— Des peuples entiers, ajouta sobrement Ramsès.

— Le rythme même de la vie serait mis en péril, dit Samir.

— Ce secret doit être anéanti ! s’exclama Julie. Si tu détiens cet élixir, détruis-le ! Tout de suite !

— Et comment m’y prendrais-je, ma chère ? Si je jette la poudre aux quatre vents, ses infimes particules retomberont sur le sol, la pluie les fera fondre et les entraînera vers les racines des arbres, rendant ceux-ci immortels. Si je verse le liquide dans le sable, il y stagnera jusqu’à ce que les chameaux viennent s’abreuver. Si je le verse dans la mer, ce sera pour donner naissance à des poissons, des serpents et des crocodiles immortels !

— Arrête, je t’en prie, murmura-t-elle.

— Sire, ne pouvez-vous l’absorber sans vous faire de mal ? demanda Samir.

— Ne fais pas ça ! »

Il lui adressa un sourire chargé de tristesse.

« Tu t’intéresses encore à ce qu’il peut advenir de moi, Julie Stratford ?

— Oui, je m’y intéresse. Tu n’es qu’un homme, mais ton secret est celui d’un dieu.

— C’est vrai, Julie, dit-il en se tapant le front. C’est ici que réside mon secret. Je sais fabriquer cet élixir. Le sort des quelques flacons que je détiens encore n’a pas vraiment d’importance, car je peux toujours en produire davantage. »

Ils échangèrent des regards lourds de sens. L’horreur de la situation était incommensurable.

« Vous comprenez à présent pourquoi, mille années durant, je n’ai partagé cet élixir avec personne. J’en connaissais le danger. Et puis, avec la faiblesse d’un mortel, comme vous diriez, je suis tombé amoureux. »

Les yeux de Julie s’emplirent encore une fois de larmes. Samir attendit patiemment.

« Oui, je sais, soupira Ramsès. J’ai été insensé. Il y a deux mille ans, j’ai vu mon amour périr plutôt que de donner un peu d’élixir à son amant – Marc Antoine, cet homme dissolu qui m’aurait poursuivi jusqu’aux confins du monde pour s’approprier mon secret ! Pouvez-vous imaginer ces deux maîtres immortels ? « Que ne créons-nous une armée indestructible ? », me demandait-elle après avoir succombé à son influence corruptrice. Elle était devenue son jouet. Et voici qu’aujourd’hui, en cette époque de merveilles étonnantes, je la ramène à la vie ! »

Julie était effondrée. Elle ne cherchait même plus à sécher les larmes qui coulaient sur son visage. Elle tendit la main pour effleurer celle de Ramsès.

« Ce n’est plus Cléopâtre, ne le vois-tu pas ? Tu as commis une terrible erreur, c’est vrai, et nous essaierons de t’aider, mais ce n’est pas Cléopâtre ! C’est impossible !

— Julie, je ne me suis pas trompé sur ce point ! Elle me connaissait, ne comprends-tu pas ? Elle m’a appelé par mon nom ! »

 

Cléopâtre et l’Américain se trouvaient dans un couloir très sombre creusé au flanc de la pyramide.

Fébrilement, elle l’enlaça et glissa ses doigts gantés sous sa chemise avant de jouer avec ses tétons si tendres. Sa langue dardait hors de sa bouche comme, un serpent.

Il était désormais son esclave. Elle dégagea sa poitrine virile et plongea la main derrière sa ceinture de cuir, vers la base de son sexe.

Il gémit contre elle. Elle le sentit retrousser sa jupe. Puis, brusquement, sa main s’arrêta. Son corps se cabra. Il avait remarqué sa jambe nue, son pied.

Il avait vu l’os sanglant qui saillait de sa jambe, les tendons osseux de son pied.

« Mon Dieu ! dit-il en reculant. Quelle…»

Elle poussa un grognement de rage. « Détourne ton regard ! cria-t-elle en latin. Comment oses-tu ? »

Elle lui saisit la tête à deux mains et la lui cogna contre la paroi. « Tu mourras pour cela ! » cracha-t-elle. Un mouvement du poignet. Sa nuque se brisa. Comme les autres.

Elle se tourna vers l’ouverture du tunnel, vers les sables ocre sur lesquels jouaient les lumières du Mena House. Une musique très douce s’échappait des fenêtres de l’hôtel.

Quelques étoiles brillaient déjà dans le ciel azuré. Elle se sentit en paix. Comme ce serait bon que de marcher, seule, dans le désert.

Mais le seigneur Rutherford. Le remède. Il faisait presque nuit !

Elle se pencha et prit l’argent de l’Américain. Elle pensa à sa belle automobile de couleur jaune. Elle la ramènerait rapidement là d’où elle était venue. Et elle n’appartenait qu’à elle seule à présent !

Elle éclata de rire à cette idée. Elle dévala le flanc de la pyramide et courut jusqu’à la voiture.

C’était très simple. D’abord enfoncer le bouton du démarreur. Puis appuyer sur l’« accélérateur ». Le moteur poussa un rugissement. Ensuite, manœuvrer le levier tout en enfonçant l’autre pédale. Miracle des miracles, la voiture s’élança, et elle donna un brusque coup de volant.

Elle effectua un large cercle devant le Mena House. Quelques Arabes terrifiés fuirent à son approche. Elle écrasa l’« avertisseur sonore » et terrorisa les chameaux.

Jouant avec le levier de vitesses ainsi qu’elle l’avait vu faire, elle fonçait vers les lumières du Caire en chantant à tue-tête : « Céleste Aïda ».

 

« Tu nous as demandé de t’aider, dit Julie. Tu nous as prié de te pardonner. Maintenant je veux que tu m’écoutes.

— Je vais t’écouter, Julie, dit Ramsès d’une voix brisée. Mais c’était elle… j’en ai la certitude.

— C’était son corps, oui. Mais qui est l’être qui vit maintenant ? Il n’a plus rien de la femme que tu as aimée. Cette femme, quelle qu’elle soit, n’a nullement conscience de ce qui advient à son corps !

— Mais Julie, elle m’a reconnu !

— Ramsès, le cerveau de ce corps te connaissait. Mais pense à toutes les implications. Elles sont tout, Ramsès. Notre intelligence – notre âme, si tu préfères – ne réside pas dans la chair, elle n’y sommeille pas pendant des siècles tandis que notre corps se corrompt. Soit elle s’envole vers un monde supérieur, soit elle cesse d’exister. La Cléopâtre que tu as aimée a cessé d’exister le jour où son corps est mort. »

Il la scrutait du regard comme pour tenter de mieux la comprendre.

« Sire, il y a de la sagesse dans ses propos », dit Samir. Mais lui aussi était perplexe. « Le comte dit qu’elle sait qui elle est.

— Elle sait ce qu’elle est censée être, rectifia Julie. Les cellules ! Elles sont toujours là, revitalisées, et peut-être quelque souvenir y est-il enfermé. Mais cette créature est un double monstrueux de ton amour défunt.

— C’est peut-être vrai, murmura Samir. Si vous faites ce que suggère le comte, si vous lui donnez cet élixir, vous allez peut-être donner la vie à… à un démon.

— Je ne comprends rien à tous vos raisonnements ! avoua Ramsès. C’est Cléopâtre ! »

Julie secoua la tête. « Ramsès, mon père est mort depuis deux mois à peine. On n’a pas pratiqué d’autopsie. Il n’a pas été embaumé, si ce n’est par le soleil et le sable d’Égypte. Il repose, intact, dans une crypte de ce pays. Crois-tu que j’utiliserais cet élixir, si je pouvais en disposer, pour le rappeler d’entre les morts ? »

Samir bredouilla quelque chose.

« Non ! lança Julie. Car ce ne serait plus mon père. Le lien s’est rompu à tout jamais. Un double de mon père se lèverait. Un double qui saurait peut-être ce que mon père savait, mais qui ne serait pas mon père. Ce que tu as ramené à la vie, c’est un double de Cléopâtre ! Ton amour défunt n’est pas revenu ! »

Ramsès était silencieux. Il paraissait profondément ébranlé par les dernières paroles de Julie. Il se tourna vers Samir.

« Sire, quelle religion nous dit que l’âme s’attarde dans la chair en putréfaction ? Pas celle de nos ancêtres, en tout cas.

— Toi, mon amour, tu es vraiment immortel, dit Julie. Mais Cléopâtre est décédée il y a vingt siècles et elle est toujours morte. La créature que tu as ressuscitée doit être détruite. »

 

La Momie
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